Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

in girum imus nocte et consumimur igni

26 novembre 2007

Les difficultés du texte

1) De qui parle-t-on?

On s'est tout d'abord heurté à la difficulté de déterminer les interlocuteurs et sujets de la critique de Debord: les "salariés du premier rang" ne coïncident pas avec "la grande masse des salariés d'aujourd'hui"; mais, se demandait Tristan, comment identifier davantage ces "agents spécialisés"? On en vient à penser que l'enjeu de ce texte est précisément, pour Debord, de montrer que ces spectateurs, puisque c'est bien d'eux dont il est question, subissent une forme d'oppression socio-économique, mais dont les traits sont spécifiquement modernes, notamment dans la complaisance par rapport à leur propre situation.

A cet égard, un passage du texte posait problème à Stéphane et Virginie, dans lequel Debord critique la nécessité pour ces salariés de devoir subvenir à leurs propres besoins, de devoir tout faire eux-mêmes: Debord appelle-t-il à un nouveau servage, à une nouvelle hiérarchie? Cela irait contre son propos d'anéantissement des classes. Tristan ne relevait pas cette difficulté; par la discussion nous apparaît que la démarche de Debord est de dénoncer l'absurdité de cette vie menée par les spectateurs, ses contemporains, et le ridicule de la logique du système économique, de les faire réagir pour leur donner la possibilité de devenir des "citoyens respectables d'une démocratie". Il utilise cette image pour montrer que la réalité est encore moins cohérente que la démocratie qu’il rejette. Il y a trois modèles de  sociétés dans ce texte : l’idéal de Debord (l’anarchie), celui auquel les spectateurs pensent appartenir (la démocratie) et la situation actuelle selon Debord, un système d’exploitation sans équivalent. Cela menait alors au rôle que Debord semble conférer au cinéma dans ce texte, à savoir un rôle proprement politique. Si Debord ne propose rien pour remplacer le système qu'il critique, mais appelle à la destruction, à la destruction des classes, la réaction qu'il provoque par un tel texte et un tel film est le premier élément de la révolution souhaitée.

2) Quelle est la puissance manipulatrice?

Une deuxième grande difficulté du texte était d'identifier l'autre versant de la critique, à savoir la puissance manipulatrice, qui n'est jamais clairement désignée. On relève des expressions comme "manipulateurs de la publicité", "convenances concentrationnaires de l'industrie présente", "société marchande", "système de tyrannie", etc. Mais qui est précisément en cause? Le propre du système est qu’il constitue une entité où les parties ne sont signifiantes que par rapport au tout : l’individu en tant que singulier n’a plus de place dans un système. Mais à l’inverse, le tout n’est signifiant que par les parties qui le constituent : alors chacun est responsable de la forme que prend le système économique et social. On est tous coupable et victime à la fois, c'est là la force du système.

3) Qui reflète quoi?

Tristan est arrivé avec un problème qui était la phrase du début du texte décrivant le spectacle cinématographique devant lequel les spectateurs se retrouvaient comme « le miroir glacé de l’écran ». Par opposition à un spectacle qui ne ménage pas le public et communique des idées, le spectacle dominant agit comme un miroir, c’est-à-dire qu’il ne renvoie au spectateur rien de nouveau mais en plus il est glacé, si lisse qu’il n’est la source d’aucun choc, d’aucune provocation.

L’écran ainsi présenté est tout ce que ne doit pas être le spectacle : une tentative de représentation de la réalité qui n’a aucun intérêt puisqu’elle copie sans succès et sans recul. Cette formule annonce déjà ce dont Debord reproche au spectacle de manquer : un détachement, un regard différent, un point de vue qui serait le moteur d’une réflexion (et non un simple reflet, une reproduction).

Publicité
Publicité
26 novembre 2007

Stéphane : Quelle fonction le cinéma devrait-il assurer ?

Dans ce texte Guy Debord accorde un long temps à décrire les conditions d’exploitation des individus (et des spectateurs de cinéma en particulier) par l’industrie et la politique capitaliste. Il annonce alors sa déception face à un cinéma qui ne fait qu’entretenir cette situation d’emprisonnement en la répétant. Il donne donc au spectacle, et au cinéma en particulier, le rôle de moteur de la révolution, celui qui éveille la conscience, apporte un regard, enrichit son spectateur. Un rôle que le cinéma contemporain du texte ne remplit pas.

Qu’en est-il du cinéma selon Debord ? « Le reste [du cinéma, son film mis à part] […] lui montre, selon la coutume fondamentale du cinéma, ce qui se passe au loin : différentes sortes de vedettes qui ont vécu à sa place, et qu’il contemplera par le trou de la serrure d’une familiarité canaille. » Un constat bien peu flatteur.

Selon Debord, le cinéma a pour rôle de « révéler [au spectateur] que son mal n’est peut-être pas si mystérieux qu’il le croit », ces spectateurs qui n’obtiennent plus (ou pas*), de leur pratique du cinéma, ce savoir, ce petit plus qui les élèvent de la « la triste de vie de la grande masse des salariés d’aujourd’hui. »

*Le texte ne précise pas si le cinéma a un jour assuré ces fonctions, il ne fait que constater que ce n’est pas le cas actuellement.

En mon sens, la culture est ce qui prend la suite de l’école lorsque l’individu sort du système scolaire. En apportant au spectateur un regard sur son époque, le cinéma lui permet de penser et de questionner son quotidien.

Mais la responsabilité de l’échec de cette fonction dans la société décrite par Debord ne peut être attribuée au spectateur qui n’a pas reçu d’éducation à l’image (et qui n’a pas d’autre attente du cinéma que d’assurer une fonction de divertissement). Les seuls avisés de la fonction « travail » du cinéma sont les gens qui ont étudié et qui pratiquent l’outil cinéma : les producteurs².

² Par producteur, j’entends le sens large de tous les collaborateurs à la création cinématographique (réalisateur, scénariste,…) en plaçant une priorité sur la responsabilité du producteur qui décide des projets qui voient le jour et qui seront diffusés dans le circuit commercial.

La situation actuelle repose en théorie sur les choix des films produits (politique de production) et sur donner au spectateur la possibilité de décider d’aller au cinéma pour y trouver un travail et pas systématiquement un divertissement.

Réponses actuelles à ces enjeux.

Se heurter à la question de l’actualité de ce texte revient à faire les mêmes démarches que celles qui ont pu conduire Debord à ces observations. Seulement au regard d’informations statistiques, on se demande comment définir le « spectateur de cinéma ». Dans le cas de la subjectivité, il faut voir sa démarche comme la traduction d’un ressenti, d’impressions sur son époque. Il me paraît donc aussi légitime de rechercher l’actualité par un ensemble d’éléments qui peuvent être la base d’une réflexion pouvant aboutir sur des conclusions de l’ordre de celles de Debord.

Le cinéma devrait élever le spectateur à nouveau. Quel cinéma élève les spectateurs aujourd’hui ? Je pense qu’il existe un cinéma qui propose un regard pertinent sur l’état de la vie de nos jours, des films comme À l’ouest des rails de Wang Bing ou La question humaine de Nicolas Klotz, pour citer deux exemples très différents*. Ce cinéma n’attire pas les spectateurs et pour moi la responsabilité est partagée entre l’industrie qui ne les met pas en avant (par un système publicitaire et par une diffusion importante) et le spectateur éduqué à l’image qui ne fait, malgré ça, pas assez l’effort d’aller vers ce cinéma de la transformation, plus pénible puisqu’il appartient à un travail et non à un divertissement.

*Je prends ces exemples parce que je pense qu’on peut les faire entrer dans cette définition de films qui révèlent au spectateur que « son mal n’est pas si mystérieux qu’il le croit, et qu’il n’est peut-être même pas incurable pour peu que nous parvenions un jour à l’abolition des classes et de l’Etat. » 

Il existe à l’heure actuelle d’autres types de films qui tentent d’entrer dans cette définition, ceux-ci attirent les spectateurs car ils ménagent le public, en se servant d’une mode de la contestation (qui prend la forme de l’anticipation, la science-fiction ou le documentaire pamphlétaire façon Michael Moore). Le résultat de ce cinéma n’est que l’accroissement du « surplus de fausse conscience », dans le sens où cette prise de conscience ne change rien aux habitudes du spectateur.

« On a même poussé le dégoût jusqu’à m’y piller beaucoup moins souvent qu’ailleurs, jusqu’ici en tous cas. » C’est ce cinéma qui pille aujourd’hui la théorie de Debord. Et parfois même sa forme. Le film 99F, adapté du livre de Frédéric Beigbeder, est un exemple de dénonciation d’un système avec les outils de ce système. Sauf que le détachement critique qu’il reprend reste assez stérile. Ce cinéma pousse le vice jusqu’à développer cette dénonciation dans sa promotion.

99F

www.allocine.fr

Dans ce document, on utilise les arguments anti-publicitaires (qui sont la thèse du film) pour vendre le film. Les outils du système dénoncé sont utilisés. Le coté divertissant (qui ménage le public) empêche l’idée de se diffuser.

A la question de l’éducation, le film de Debord répond en proposant au spectateur un regard sur son époque. Et c’est en cela qu’il est un objet intéressant, il peut être la base de discussions autour de sujets divers, il peut servir d’argument dans un débat sur la culture ou de miroir déformant pour regarder différemment notre quotidien. Dans ses critiques, Debord ne propose pas de solution. Mais à travers les lignes transparaissent le besoin de changer les choses. Et pour une génération témoin des échecs de toutes les idéologies qui ont été proposées, ce texte provoque comme le besoin de continuer à élargir le champ des possibles, de chercher un nouveau moyen d’échapper au monde tel que Debord nous permet de le voir.

26 novembre 2007

Virginie : Comment parler de la vie quotidienne quand c’est la nôtre ?

Une des grandes difficultés de ce texte, et de toute interrogation sur la vie quotidienne, est le point de vue d'où la critique s'effectue. Debord adopte un ton distant et supérieur, par lequel les spectateurs sont réduits à des "ils", réifiés; et il justifie ce point de vue dès le début du texte, déclarant n'avoir fait aucune "[concession] aux idées dominantes de [son] époque". Se considérer comme hors de la société semble être le seul moyen d’en dénoncer les rouages ; et la fin du texte le confirme : Debord est à la fois hors société et « au-dessus des lois » du genre cinématographique puisque personne des spectateurs de cette société ne reconnaît son existence dans le domaine du cinéma. Car bien sûr, pour parler de la vie quotidienne, il s’agit d’arrêter son cours, de s’en extirper afin de l’analyser comme un objet extérieur.

Mais est-ce possible d’être hors-société ? Sur quels éléments la critique de Debord s’appuie-t-elle, de quelle source provient-elle ? D’images, de journaux… issus de cette même société. Debord n’est-il pas lui-même un membre de cette société routinière et de ce public ? Son regard n’est-il pas conditionné par cette société, et, de  la même façon, si le cinéma, selon ses propres mots, est un produit de la société, son cinéma n’est-il pas, d’une façon ou d’une autre, un pareil produit ? On peut remarquer que Debord, s’il ne parle que de « ils », « ce public », « eux », lointains et inférieurs, donne à son film un titre où le « nous » est le sujet. Il s’agit d’une critique menée de l’intérieur, seul départ possible, et il déclare dans La société du spectacle : « Le sujet ne peut émerger que de la société, c’est-à-dire de la lutte qui est en elle-même » (Gallimard, Paris, 1992, p.46).

La question de l’enracinement du point de vue, quand on s’interroge sur la vie quotidienne, rejoint la question du point de vue à adopter pour parler de l’existence. Avant la dénonciation du point de vue universel et omniscient par Lévi-Strauss et les structuralistes, Kierkegaard, critique du sujet abstrait de la philosophie spéculative, et l’un des premiers à dénoncer une société moderne consommatrice de culture et de produits perdant toute valeur, met en œuvre une tactique efficace. L’emploi d’un pseudonyme, personnage fictif, lui permet en effet de se situer à d’autres niveaux que celui d’individu incarné du philosophe Kierkegaard ; seule cette abstraction, justifiée, autorise un discours philosophique, distancié, ne prétendant plus être celui d’un existant, et donc en accord avec son contenu. On peut alors penser que le ton adopté par Debord (et malgré le « je » très présent), et plus particulièrement, comme me le font remarquer Stéphane et Tristan, cette voix off désincarnée et lointaine, qui s’adresse à des « ils » pourtant en face de lui, remplissent ce rôle d’abstraction. Et il semble que le parallèle avec la démarche de Kierkegaard puisse encore être développé : de même que Kierkegaard emploie les moyens de la philosophie pour montrer à la fois le rôle et les limites de celle-ci, de même Debord fait un film pour dénoncer les prétentions et les illusions du cinéma : c’est pour lui le meilleur moyen de mettre en évidence son propos, c’est-à-dire de souligner l’échec du cinéma, que d’associer un texte pertinent à des images « insignifiantes ». Il s’agit ici non pas de faire un film en reprenant les outils critiqués, mais il s’agit plutôt, en montrant cinématographiquement ce que n’est pas le cinéma, de montrer ce qu’il peut.

Une actualité difficile à nier mais des termes périmés

L’interrogation sur l’actualité du texte est liée à la question du point de vue. Bien que Debord se déclare au-dessus de toute critique, il appelle néanmoins à la critique et à la haine de cette société, qu’il attaque presque frontalement. Ce texte invite à réagir, et personne ne peut éviter de prendre part au débat qu’il soulève. Car si je critique ce texte et ce film, je suis forcé(e) de trouver des arguments prouvant que je ne suis pas un tel spectateur, que ma vie quotidienne n’est pas telle qu’il la décrit ; or comment, en toute bonne foi, ne pas se reconnaître dans ces « exécutants » qui « meurent par séries sur les routes, à chaque épidémie de grippe, à chaque vague de chaleur, à chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments, à chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d’un décor dont ils essuient les plâtres » ? On peut associer à chacun de ces thèmes des images du journal télévisé rythmant nos vies. A cet égard la critique des images censées prouver est également d’actualité ; aujourd’hui, cependant, les images sont omniprésentes dans nos vies, et ont été mises en cause ; bien que le risque existe toujours, il ne me semble pas qu’on les crédite encore d’un tel statut de preuve, y compris pour les films documentaires : les films de l’ethnologue Stéphane Breton mettent précisément en avant une subjectivité qui ne fournit en aucun cas des preuves.

En outre, la critique du système est plus que bienvenue à une époque où la mondialisation donne à ce système une portée maximale, et où on peut penser qu’il domine ceux là même qui croient avoir une influence réelle sur l’état du monde, mais qui ne font que suivre ou, certes, accentuer, une tendance enclenchée bien avant eux, dont ils sont eux-mêmes victimes (mais toujours responsables).

Le débat semble toujours, et peut-être plus que jamais, se situer entre les puissances financières et économiques, et la masse des autres membres de la société et de ceux que l’on dit marginaux ; néanmoins, le vocabulaire employé paraît un peu périmé. Il ne me semble pas que la question soit aujourd’hui d’ « [abolir] les classes et l’Etat », mais qu’il s’agit plutôt de s’interroger sur les valeurs auxquelles on décide d’accorder de l’importance ; or l’argent est devenu le principal moteur politique, et c’est pourquoi, à mon sens, ce n’est plus l’existence même de l’Etat que l’on doit mettre en cause, mais plutôt sa compromission avec ceux qui font de l’argent la plus haute valeur.

26 novembre 2007

Tristan : Ce spectateur méprisé

"Je ne ferai, dans ce film, aucune concession au public." C'est par ce postulat tranché et tranchant que Guy Debord introduit son commentaire, c'est donc sous cet angle d'étude de la place du spectateur que j'ai décidé d'aborder son texte. Je voudrais revenir sur ce parti pris qui me semble être un point essentiel et discutable de la méthode employée par Debord. Mais quelle est-elle cette méthode dont il se réclame? Selon moi, ce texte se situe dans la lignée de la pensée brechtienne de la distanciation : "rien d'important ne s'est communiqué en ménageant un public". En effet, le dispositif cinématographique, sur le modèle théâtral de Brecht, est ici complètement dévoilé. Il faut prendre de la distance quant au propos raconté et en tirer les leçons, nous dit Brecht ; il faut refuser le cinéma dominant et rejeter toute "imitation insensée d'une vie insensée", reprend Debord. Mais sa position diffère de celle de Brecht qui lui met en distance son medium mais n'en rejette pas le langage, ni le public : il les interpelle.

Debord, lui, décide de se placer "au-dessus de toutes les lois du genre", de faire un film avec "n'importe quoi" et de ne "rien conserver du langage de cet art périmé". Pourtant il cherche bien à faire coïncider dans son montage les "déchets" d'image qu'il utilise avec son commentaire, il utilise donc bien le langage cinématographique qu'il rejette. Mais il préfère nier son medium par provocation, plutôt que de s'en servir en distance, ce qui eût été plus honnête et selon moi tout aussi efficace en le reconnaissant. Il fait de même avec son public et outrepasse la démarche brechtienne d'interpellation. Il a raison de dire que "rien d'important ne s'est communiqué en ménageant un public", le spectateur brechtien est un spectateur actif, mais ce n'est pas un spectateur méprisé. Là où Debord se trompe, je pense, c'est qu'il refuse toute pédagogie, il n'en propose que la révolte. Peut-être pense-t-il qu'il est trop tard pour être pédagogique, mais je trouve que cette démarche uniquement provocatrice reste utopique et peu constructive… cherche-t-il seulement à (re)construire?

Une chose m'a frappé à la lecture de ce texte concernant le goût de Debord pour les références antiques quand il parle des spectateurs. Par exemple dans son premier paragraphe, il rappelle que même pour les "contemporains de Périclès", modèle d'une soi disant démocratie, rien ne s'est fait en ménageant le spectateur. Il ne précise pas son idée, mais la conception aristotélicienne de la catharsis comme "purgation des passions" du spectateur de théâtre devant une représentation tragique, afin qu'il n'ait aucune envie de reproduire dans la vie réel ce qu'il a vu sur scène. Mais la mise en distance dans ce principe s'opère sur le public à posteriori de la représentation, et de manière plus ou moins inconsciente. Même si le spectateur n’est pas ménagé, on est assez loin de Brecht et je vois mal pourquoi Debord parle ensuite des "citoyens respectables d'une démocratie". Ce passage reste assez énigmatique, mais mérite d'être souligné. Plus loin, et de manière plus pertinente, il parle de "cette plèbe" pour désigner le public de cinéma. Le terme "plèbe" s'associe facilement à la devise romaine "du pain et des jeux" désignant cette politique d'empereur cherchant l'abrutissement des masses devant les spectacles du cirque. Pendant que le peuple est dans l'arène, il n'est pas dans la rue. Ces références antiques font parfaitement écho à cette société du spectacle dont parle Debord et lui donnent même une Histoire. Son propos a donc un passé, un présent d'écriture, mais a-t-il une actualité?

Debordements actuels

« La misère est un spectacle »

(Camille de Toledo, Archimondain, joli-punk)

Manifeste dérangeant et visionnaire, le texte de Guy Debord a non seulement résisté au temps, mais aussi prophétisé notre époque. Au regard d'une actualité "perturbée", ce texte si méprisant pour son lecteur n'en est pas pour autant stérile. Sans revenir sur l'anti-pédagogie de son auteur, les vérités qu'il énonce sont loin de laisser indifférent et invitent à reconsidérer l'ensemble. C'est là que réside sa force, dans sa capacité à remettre tout à plat et à interroger chaque situation. "Nous tournons en rond dans la nuit et, nous sommes consumés par le feu". Déjà dans son titre, Debord annonce cet engrenage dont seule la révolte nous ferait sortir. Nous sommes des Sisyphe modernes, qui répètent éternellement les mêmes mouvements vains, "le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports". Il est troublant de lire des choses sur la consommation à crédit, quand on connaît aujourd'hui les ravages que cause les sociétés de prêt qui endettent les "foyers moyens". On ne peut que reconnaître dans la description du parcage des masses dans de "mauvaises bâtisses malsaines et lugubres", la ghettoïsation actuelle de nos banlieues, ou encore dans cette "alimentation polluée et sans goût" le mode de production aseptisé vers lequel tend notre industrie agroalimentaire. Enfin, le fait d'être "continuellement et mesquinement surveillé" est devenu une pratique quotidienne dont personne ne semble se plaindre. On fait même des campagnes publicitaires pour nous rassurer que c'est pour notre bien et rien d'autre : "filmer les sacs à mains volés, pas les baisers volés" : si c'était le cas serait-il utile de le justifier ? Il y a en France 300.000 caméras de vidéosurveillances et la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, a déclaré récemment "la vidéosurveillance est une nécessité face au terrorisme et un atout contre l'insécurité. […] Je compte donc tripler le nombre de caméras en moins de trois ans, d'ici à la fin 2009, sur la France entière." (source AFP)

"Les images existantes ne prouvent que les mensonges existants." Cette maxime devrait s'inscrire comme un avertissement avant chaque journal télévisé, tant elle a pris de sens dans le panorama audiovisuel actuel. Mais je laisserai le choix des mots de cet avertissement à Brecht, qui conclue sa pièce L'exception et la règle, par une adresse aux spectateurs :

"Vous avez entendu et vous avez vu

Vous avez vu ce qui est habituel, ce qui se produit sans cesse.

Mais nous vous en prions :

Ce qui n'est pas singulier, trouvez-le surprenant!

Ce qui est ordinaire, trouvez-le inexplicable!

Ce qui est habituel doit vous étonner.

Discernez l'abus dans ce qui est la règle

Et là où vous avez discerné l'abus, trouvez le remède!"

Publicité
Publicité
in girum imus nocte et consumimur igni
Publicité
Derniers commentaires
Publicité